Tartine #4 : ATTENTION ! Cet article contient des avertissements

Tartine

Bienvenue dans une séance de réflexion. Une règle : l’émotionnel au tiroir, l’objectivité à la barre.

Les tentatives désespérées des chouineurs à base de « t’es une femme blanche hétéro donc t’es JAMAIS concernée, tu peux pô comprendre » ne sont pas admises dans cet espace Tartines. Si vous voulez invalider un propos, faites-le sur la base des arguments proposés et du contenu, et pas sur la base de jugements inappropriés et faux sur la personne.

AVERTISSEMENT: annonce généralement indiquée en début de média pour prévenir de l’utilisation d’un contenu sensible pour certaines personnes. L’anglais utilise deux expressions distinctes ; le « trigger warning », ou le « traumavertissement » et le « content warning », ou l’avertissement de contenu. La différence étant que le trigger warning est communément réservé aux traumatismes qui peuvent déclencher une crise d’angoisse, et le content warning avertit juste d’un contenu sensible à venir sans aller dans le détail.

Exemple : on parlera de trigger warning en début de média pour prévenir une personne ayant subi du harcèlement scolaire qu’elle sera confrontée au harcèlement scolaire à tel moment. Le content warning indiquera simplement que le média contient des propos ou des images pouvant potentiellement heurter la sensibilité.

Que d’encre coule depuis l’apparition de ces avertissements, où tous les avis se contredisent et où il est bien difficile de ne pas faire appel à l’émotion, précisément parce que le sujet touche personnellement. Faut-il accepter ou refuser les avertissements ? Là ne sera pas la question, et chacun demeure libre de son choix sur ce point. C’est le pourquoi du comment et les implications qui nous intéressent.

QUELQUES RAPPELS UTILES

Notre vision de l’Art déterminera en partie notre vision des avertissements. Est-ce que l’Art est pour vous une échappatoire, un espace sans danger ou un cocon ? Est-ce que vous êtes en quête d’exploration et de mondes à parcourir ? L’Art vaut-il quelque chose si vous ne pouvez pas être bousculé, heurté, si sa réalité est trop édulcorée ? En fonction de vos réponses, la question des avertissements divergera rapidement, c’est pourquoi mon seul avis dans la mare des avis anonymes n’a pas plus d’importance que le vôtre, et c’est pourquoi votre avis compte autant que le mien. Nos attentes de l’Art n’étant pas forcément les mêmes, nous ne manquerons pas de désaccords.

Que vous soyez pour ou contre les avertissements, gardez ça en tête et ne le perdez pas : PERSONNE ne vous force à lire, personne ne vous force à en mettre, il n’y a aucune forme de censure là-dedans, parce que chacun demeure libre de choisir son contenu en fonction de ses attentes. Un livre se referme très facilement, à vous de décider si vous voulez poursuivre ou non, et oui, vous avez le choix.

De même, merci de ne pas utiliser le mot « victimisation » hors du contexte psychiatrique, car ce dont vous parlez est un mécanisme psychologique qui relève effectivement d’un mal-être à soigner, et donc ce n’est pas un argument valable dans le cadre des discussions autour des avertissements. Parlez de fragilité, mais pas de victimisation.

TOUT EST DANS LA NUANCE

Il y a plusieurs sortes d’avertissements : le content warning, qui avertit donc d’un contenu sensible sans donner plus de détails ; le trigger warning, qui donnera lui plus de détails en se focalisant sur les traumatismes ; et un dernier avertissement que l’on voit de plus en plus fleurir sur nos écrans en particulier, c’est le panneau qui rappelle le contexte historique d’une œuvre aujourd’hui considérée comme immorale ou amorale à cause d’un potentiel message véhiculé à l’encontre de telle appartenance. Celui-ci ne nous intéresse pas aujourd’hui.

Qu’est-ce que l’on trouve dans les deux avertissements restants ?

  • La peur / la phobie (entre-temps devenue la haine) de quelque chose : une personne qui se retrouve devant des images d’insectes alors qu’elle ne supporte pas lesdites bestioles, ou une scène en hauteur lorsqu’on a le vertige.
  • L’inconfort collectif : le malaise ou la sensation oppressante qu’on rencontre en général presque tous devant des sujets émotionnellement forts, comme la pédophilie, le viol, le terrorisme, etc. C’est aussi ce qu’on appelle des sujets tabous.
  • Le traumatisme : événement vécu au niveau personnel, soit par soi-même, soit à travers des proches, et qui touche à tous les sujets.

Pourquoi en faire la nuance et séparer ces trois points ? Tout simplement parce que la manière de recevoir l’image ou les mots ne sera pas la même. Là où les peurs, les phobies et l’inconfort collectif auront des réactions gérables et peu dommageables, les traumatismes provoqueront des crises d’angoisse, ou toute autre sorte de réactions dangereuses pour l’individu. En quoi il convient de le prendre en compte ? Parce que les deux premiers peuvent se réguler d’eux-mêmes, tandis que le troisième provient d’un mal-être psychique, imprévisible, et qui relève de la psychiatrie.

La nuance est indispensable, parce qu’à la base, l’avertissement de déclencheur, le « trigger warning », était réservé aux personnes ayant vécu un traumatisme, pour leur permettre de se préparer psychologiquement. Maintenant, qu’avons-nous ? Une utilisation abusive des avertissements de déclencheurs, où l’on retrouve les trois catégories ci-dessus. Les phobiques, les pas très à l’aise et les traumatisés dans le même panier, et voilà  que le panneau de sécurité pour éviter une réaction douloureuse se transforme brusquement en une vaste plaisanterie où chacun y va de son commentaire en se disant offensé par tel contenu. Or, se sentir offensé n’est pas du tout la même chose qu’avoir une crise de panique due au traumatisme. 

DE LA DIFFICULTÉ DE PRENDRE TOUT LE MONDE EN COMPTE

Les avertissements par âge, vous vous en souvenez ? Les PEGI avec les jeux-vidéos et les classifications cinématographiques ne sont pas si loin derrière nous ! Aujourd’hui tombés dans la disgrâce, parce que les mœurs ont changé. Comparez entre les années 1990 et les années 2000 : aujourd’hui, un – 12 ans contiendra des scènes de sexe et de violence, mais refusera de montrer l’utilisation de la drogue, là où c’était le contraire en 1990. Les mœurs changent, la mentalité évolue, et les avertissements ne peuvent plus suivre. 

L’ère ayant changé, et la technologie avec, les sites spécialisés dans les avertissements ont remplacé les PEGI et les classifications. C’est ainsi qu’aujourd’hui, toute personne n’étant pas sûre de trouver des avertissements dans sa prochaine lecture ou son prochain visionnage ira naturellement se tourner sur ce site et s’enquérir des dangers. On y trouve des avertissements allant du viol jusqu’aux… excréments. 

Comment arriver à contenter le plus de personnes possible quand on se retrouve avec ce genre de phobie ou de traumatisme ? Sans juger qui que ce soit, sans se demander s’il n’y a pas un problème, en se montrant le plus compréhensif possible ? À partir de quand un élément devient-il le déclencheur potentiel d’une crise ? Parce que si l’on doit mettre un avertissement à tout, absolument tout, histoire de n’offenser personne ou de mettre en sécurité tout le monde, comment cette interminable liste prendrait forme ? Dans un livre, on dédierait un bon dix pages de sommaire pour s’assurer du confort de chacun ?

Ou bien… faut-il privilégier certains avertissements plutôt que d’autres, quitte à s’attirer les foudres de personnes qui sont dans leur droit de vouloir se sentir dans un cocon ?  Ça voudrait dire que l’on se permet de faire un choix sur la santé des uns et la santé des autres, vous trouvez ça équitable, vous ? On le voit très vite : le labyrinthe n’a pas de sortie lorsqu’il s’agit de nos peurs ou de nos inconforts.

À PARTIR DE QUAND FAUDRAIT-IL AVERTIR ?

Le genre du média. Voulez-vous bien m’expliquer la logique de créer toute une série d’avertissements dans le genre policier ? Un genre qui se suffit à lui-même. On sait très bien que le genre policier n’est pas là pour jouer une partie d’échecs entre potes sur le canapé, ou pour une partie de jambes en l’air tout en douceur sur un lit parsemé de pétales de fleurs. Psychologie, violence, manipulations, deuil… bref, le côté sombre de l’Humain. On le sait.

Ou bien la fantasy, qui fait couler de l’encre parce que beaucoup trouvent anormal voire absolument affreux qu’on y dépeigne encore des scènes de guerre ou de barbarie. Mais la fantasy prend en majorité ses sources dans le Moyen-âge, même si l’on constate de plus en plus des évolutions à ce niveau-là. Que ce soit de la fantasy occidentale, orientale ou un autre coin du globe, on ne peut pas éviter les batailles, les jeux de pouvoir et de manipulation, les attitudes dangereuses. Le viol gratuit, discorde sur lequel s’appuie bien trop le genre, n’est clairement pas nécessaire, nous serons d’accord là-dessus, mais on ne peut pas éviter toutes les sources du genre, parce que le viol fait malheureusement partie des barbaries de guerre, tout comme le sang, les trahisons, la mort.

Le résumé ? Si le résumé se suffit à lui-même et qu’il est suffisamment explicite sur le genre ou l’histoire dans les grandes lignes, demandons-nous malgré tout une liste toute prête des éventuels déclencheurs ou contenus susceptibles de provoquer quoi que ce soit chez le lecteur ?

Enfin, on peut s’interroger sur la nécessité d’un avertissement quand le roman traite d’un sujet dit potentiellement sensible, mais sans l’y mettre au centre de l’action. Si le sujet principal du roman n’est pas celui-ci, faudrait-il malgré tout prévenir qu’on en parle un peu ?

Exemples :

  • Un personnage très secondaire est atteint d’un cancer, mais il n’apparaît qu’à deux ou trois reprises sur 400 pages, et la fin laisse présager plutôt de l’espoir pour sa guérison.
  • Un des personnages principaux arbore des cicatrices d’automutilation qui ne sont évoquées qu’à une reprise, parce que le roman ne se concentre pas sur cet aspect-là du personnage parce que ce n’est pas cette histoire que l’auteur souhaite raconter.

Les sujets en question sont très peu mis en avant et ne sont jamais au centre de l’attention. Ils ont tous deux une conclusion plutôt positive et montrent une partie de la profondeur des personnages sans trop s’y attarder. Les avertissements valent-ils plus quand on parle d’un sujet dans sa facette la plus négative ? C’est là que le Deux poids, deux mesures commence, si l’on suit cette logique.

UN CERCLE VICIEUX

L’émotion. Là où les générations passées ont reçu une éducation qui leur disait que montrer ses émotions en public n’était pas décent, et qu’ils devaient se brider, notre génération a grandi avec une éducation qui met l’émotion au centre du développement. On libère ses maux à travers les mots. L’émotion régit strictement tous les aspects de notre vie, et tout devient sujet à offense, à susceptibilité et à égo malmené par des paroles à la base même pas dirigées contre nous.

Ce qui devait être une force glisse vers une fragilité dangereuse, parce que les dérives suivent tout de suite après. La fragilité créé des déséquilibres, les déséquilibres créent du mal-être psychique, et là, l’individu n’est plus en mesure d’y faire face par lui-même, sans aide extérieure. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’invalider un sentiment, de juger de la douleur et les traumatismes des autres, mais de remettre le curseur à sa place : l’émotion ne doit pas être maîtresse de notre vie. Et la fragilité n’est pas à prendre comme une tare, mais pour ce qu’elle est ; un obstacle psychique à surmonter si l’on veut avancer dans sa vie et dans ses projets.

Nous qui avons vécu un traumatisme ou ne nous sentons pas en sécurité sur tel sujet, nous savons quel est le sujet qui nous met mal à l’aise. On sait déterminer ce qui est susceptible de provoquer un malaise en nous, mais dans le même temps, on refuse de se prendre en charge et d’apprendre à contrôler ce mal-être, parce qu’il s’agit bien d’un mal-être. Pourquoi refuser de se confronter à soi-même et à ses traumatismes ? Parce qu’on sait que le travail sera dur, et qu’on a tellement peur de ne jamais s’en sortir qu’on refuse de bouger, pour être en sécurité. Des illusions qui ont vite fait de créer ce besoin absolu d’espace sécurisé, de cocon, et le besoin d’avertissements pour presque tout, par peur de ne pas savoir ou pouvoir y faire face. 

Cercle vicieux dans le cercle vicieux, et cette fois, ce sont diverses études scientifiques qui le confirment : le fait de voir le simple mot « avertissement » + « votre traumatisme » aura pour conséquence de vous mettre en alerte et de déclencher une réaction d’angoisse, avant même d’avoir lu le passage en question. Cette source d’inquiétude n’est même pas déclenchée au moment où vous lisez le passage en question, mais au moment même où on vous informe qu’il y a des avertissements. Alors quoi, que faire à présent ? Si le simple mot « avertissement » suffit à provoquer un malaise, que faut-il faire ?

L’ART, DANS TOUT ÇA ?

Outre nos attentes et notre conception envers l’Art, et ce qu’on désire en retirer d’elle, essayons de voir au-delà. Comment apprendre à élargir sa vision lorsqu’on se cache sous des œillères censées nous protéger du monde extérieur, de notre propre vie ? L’Art, et la littérature donc, ne servent pas qu’à passer un bon moment ; il s’agit pour beaucoup d’un excellent moyen d’élargir sa vision, de se confronter à d’autres visions parfois très éloignées des nôtres. Un médicament, pas totalement gratuit, mais accessible à tous. Où l’on marche certes seul dans une zone pas toujours confortable, mais qu’on peut mettre en pause quand on ne se sent pas d’attaque. Un sujet qui fait mal ? On met en pause la télé, on quitte la salle de cinéma, on ferme le livre. Rien de plus simple, contrairement aux entretiens avec des professionnels de santé.

L’Art est un merveilleux moyen pour appréhender nos douleurs et nos traumatismes, parfois en douceur, parfois à reculons ; ça ne sera jamais autant efficace qu’un professionnel de santé en psychologie ou psychiatrie, mais c’est tout de même un bout de chemin parcouru, une porte qu’on peut refermer quand on le souhaite pour y revenir quand on se sent prêt à le faire. Mais ça, un avertissement ne le fait pas, puisqu’il agit comme cercle vicieux.

ATTENTION, CECI EST LA RÉALITÉ

Parce que oui, c’est bien quelque chose qu’on ne peut pas occulter, malgré tous nos désirs, toutes les barrières en carton que l’on essaye de créer autour de nous pour créer ce fameux cocon. La réalité revient toujours, vous le savez et moi aussi je le sais. L’Art n’est qu’un multivers de fiction qui emprunte certains pans de la réalité pour la façonner à sa manière, via l’artiste. Oui, parce que mine de rien, l’artiste aussi a son importance, mais lui, on l’oublie…

Je vous l’accorde, ça serait merveilleux de voir un panneau d’avertissement nous prévenir qu’à la prochaine sortie de métro, on va se faire poignarder par un lambda. Qu’avant de tourner les clefs de la porte, quelqu’un va nous kidnapper et nous violer. Qu’un de nos proches va mourir d’un cancer. Ça serait formidable de savoir que la rue suivante, un crétin sans cervelle va nous insulter parce qu’on se promène tranquille pépouze, main dans la main, avec notre chéri du même sexe. Qu’en rentrant à la maison, on va se faire virer et jeter dehors parce qu’on avait prévu d’annoncer une grossesse imprévue. Je peux continuer ainsi longtemps, vous pouvez imaginer toutes les situations possibles.

Mais ceci est la réalité. La réalité ne prévient pas, elle se contente juste d’arriver sans jamais nous prévenir que notre vie peut tourner au désastre, ou au bonheur non plus, d’ailleurs. Pas d’avertissement, pas de personnage bienveillant qui nous prend par la main pour nous indiquer un chemin clair et tout tracé, tout lumineux.

La réalité, c’est aussi les œillères qu’on se met sur les yeux pour ne pas voir la misère et les batailles autour de nous. Les sujets dits « tabous » ne devraient jamais être tabous. Traiter le sujet avec respect et avec profondeur, absolument, mais édulcorer et prévenir que ça peut faire mal ? On peut et on doit en parler sans avoir peur de choquer ou de brusquer un égo fragilisé par la vie. On ne doit pas fermer les yeux sur les violences humaines, sur le bas de l’humanité, sur ce qui se passe autour de nous. Osez lever le voile sur des sujets qui nous concernent tous ; ce n’est pas de la banalisation dégradante, c’est juste une démystification. Attention : ceci est un livre qui parlera de la vie, de ce que vous refusez absolument de voir pour des raisons qui vous regardent, mais ce dont je vais vous parler quand même, parce que le taire n’aidera personne.

Parce que mettre des avertissements à tout bout de champ va faire fuir ceux qui ne sentent pas d’y aller ou ceux qui ont la trouille de faire face à un pan entier de la vie. Et dans ce cas, si les seules personnes qui acceptent d’aller plus loin et de poursuivre leur lecture ou visionnage sont celles qui se fichent des avertissements, les choses ne changeront jamais, les sujets dit tabous le resteront jusqu’au bout. Les traumatismes sont réels, mais ce n’est pas en se couvrant les yeux qu’on peut apprendre à vivre avec et les réguler.

ET MOI, ALORS, QU’EST-CE QUE J’EN DIS ?

À la question « es-tu pour ou contre les avertissements ? », je répondrais que vous n’avez rien compris si vous pensez que je vais vous donner la réponse. Il ne s’agit pas de dire qui est pour et qui est contre, encore une fois. Mais laissez-moi vous en dire plus sur ma façon de concevoir la chose.

En tant que lectrice, je fais sciemment le choix de refermer un livre qui contient des avertissements, non pas parce que je ne me sens pas en capacité d’y faire face, mais parce que j’ai des traumatismes aussi, et que je sais d’expérience qu’une aide médicale seule ne m’aidera pas. C’est l’Art, en film/série comme en littérature, qui m’a montré que le labyrinthe avait des sorties, peut-être pas toutes sécurisées, parfois cachées, mais bien présentes. J’ai été bousculée, j’ai pleuré, j’ai refermé des livres, oui ; j’y suis revenue malgré tout, quand je me suis sentie prête à faire le travail nécessaire pour apprendre à vivre avec mes traumatismes. J’ai appris de l’Art, ma vision a évolué. Et en tant que lectrice, je ne veux plus qu’on me tienne par la main, qu’on édulcore juste pour mon confort.

En tant qu’auteure, je ne mettrais jamais aucun avertissement à mes romans, pour la simple raison que je n’écris que des textes qui explorent la psychologie humaine et les coins les moins avenants de l’esprit. Bien évidemment que l’on va y trouver des tas de déclencheurs potentiels. Ça serait une perte de temps et de papier de mettre des avertissements là où le genre en lui-même est assez clair sur ce qu’on va y trouver. Je ne suis pas là pour faire pleurer le lecteur ou le malmener, je ne suis pas là non plus pour le guider. J’écris juste ce que je dois sortir de ma tête, sans porter d’attention aux messages, aux interprétations, quoi que ce soit. J’explore et je refuse de rester sur mes bases.

En tant que moi, Sav’, qui ai vécu des traumatismes forts, comme nombre d’entre vous, je refuse de me laisser abattre ou influencer par un avertissement, parce que traumatisée jusqu’à la moelle, je l’ai été aussi. Certains mots suffisaient à me provoquer un malaise ou des maux de tête, une impossibilité à m’exprimer, une envie de me charcuter. Mais j’ai grandi, j’ai évolué, et même si certains sujets me mettent toujours dans l’inconfort, je fais le choix d’y aller, et de m’en écarter quand je ne me sens pas d’attaque. Et j’y reviens plus tard. Je me contrôle, parce que j’ai peut-être été victime un jour, mais je ne serais pas victime toujours. Je ne suis pas mes traumatismes. Le travail sur moi-même ne sera jamais fini, et je remercie l’Art, et la littérature en particulier, pour m’avoir aidé à avancer, à m’avoir montré en douceur, à mon rythme, ce que je craignais de voir, ce que je refusais d’entendre avec les professionnels de santé.

Je ne considère plus les avertissements comme une nécessité pour moi-même, et même si j’en ai fait par le passé dans ma carrière dans la fanfiction, je ne le fais plus désormais ; c’est un choix personnel que j’assume. Je ne suis pas là en tant qu’auteure pour créer un cocon de bien-être, ni pour briser les âmes de mes lecteurs, entendons-nous bien. Simplement, une vie sans choc ou indignation  n’est pas une vie, c’est une dystopie déguisée en utopie. L’humain n’est pas tout doux, l’humain n’est pas tout plat, vous le savez très bien, et je le sais aussi.

Prenez soin de vous, si vous n’êtes pas d’humeur à traverser le chemin, ne le traversez pas, refermez la voie le temps de vous reprendre, et risquez-y vous plus tard. Mais ne fermez pas les yeux sur vous, sur vos traumatismes et vos zones de confort. Acceptez que vous puissiez être autre chose que seulement vos peurs et les souffrances que d’autres vous ont infligés. Ça prend du temps et ce n’est pas qu’une histoire de volonté, là aussi on en est tous conscients. Seulement, songez-y, vous ne pouvez pas être vos traumatismes toute votre vie.